lundi 3 juin 2013

"L'errance, fuite ou sauvegarde ?" telle qu'elle fut proposée le 24 mai 2013 dans le cadre du café philo d'Apt.


 
 
 
Compte-rendu du café-philo du 24 mai 2013 – L'errance : fuite ou sauvegarde ? – présenté par Catherine Pageard
 
En s’appuyant sur un exemple, l’intervenante aborde l’errance comme une marche qui se démarque radicalement de la marche commune (déplacements utilitaires, promenades, etc.). L’errance apparaît toujours comme la quête d’un lieu qui ne semble jamais pouvoir être véritablement atteint.

Dès lors le problème qui est posé par l’errance est de savoir si elle exprime liberté humaine ou plutôt son impuissance.

La réponse proposée est multiple car sont multiples les figures de l’errance.

Il y a l’errance régressive qui répète son trajet indéfiniment car le lieu d’arrivée n’est jamais l’aboutissement de la quête. En effet, celle-ci visant le passé, elle ne peut trouver son objet dans le présent.

Il y a l’errance de purification qui vise à se dépouiller des oripeaux de la vie sociale pour nouer un contact plus intime et profond avec le monde.

Il y a l’errance de formation qui amène le tout nouveau adulte à « faire la route » pour mieux se connaître lui-même tout en découvrant le monde afin d’être plus lucide sur la place qu’il peut y occuper.

Il y a l’errance de décrochage sociale – vagabonds, clochards, zonards – pour laquelle l’activité de déplacement vaut pour elle-même comme substitut pour l’impossibilité d’être actif dans le cadre de la vie sociale. La fugue peut être comprise comme une forme éphémère (et souvent juvénile) de ce type d’errance.

On voit que certaines forme d’errance manifestent plutôt l’impuissance et la fuite, alors que d’autres sont plutôt du côté de la liberté et de la sauvegarde. Mais l’intervenante se garde bien d’essayer de réduire l’une à l’autre ; elle maintient cette bivalence de l’errance comme un motif essentiel pour stimuler notre réflexion.

Débat

 
L’idée que l’errance soit une quête de quelque chose de déterminé a été contestée en argumentant que ce qu’on appelle errance est spécifiquement le déplacement sans but, disponible, et aventureux.

 Une issue à ce dilemme a été trouvée par recours à l’étymologique : « errance » est dérivé du même radical que « errements » et « erreur ». On peut alors considérer que l’errant a un but, mais qu’il le manque. Cela permet de rendre compte du caractère indéfini et aléatoire de son cheminement. Ce qui a d’ailleurs amené la remarque que l’errance pouvait être rapprochée du jeu.

 On a fait valoir, à juste titre, que l’errance était bien plus large que sa forme marchée. Ceci n’était pas une critique de l’intervenante qui, justement, s’est limitée à la marche de façon à mieux cerner la problématique en l’alimentant de lectures de passages d’essais littéraires qui examinent de façon privilégiée cette forme d’errance. Mais cela a permis d’ouvrir le champ de la réflexion et amener à reconnaître en l’errance une dimension essentielle de notre humanité.

 On a ainsi reconnu l’importance de l’errance dans les activités sociales (l’errance professionnelle), mais aussi l’errance dans les relations sentimentales, ou encore l’errance collective, comme celle des peuples déplacés par les aléas de l’histoire – l’exil et l’émigration peuvent ainsi être rattachés à l’errance.

 Finalement on s’est accordé pour reconnaître que, loin d’être un phénomène de la marginalité sociale, l’errance nous concernait tous, et semblait toucher nos ressorts les plus intimes. C’est pourquoi ce thème a pu provoquer un débat à la fois passionné et passionnant.

Nous avons fait l’hypothèse, en conclusion, que chacun est ou a été, en quelque manière, errant. Car aussi bien l’histoire que l’archéologie montrent que l’espèce humaine, parmi toutes les espèces vivantes, est l’espèce errante par excellence.
 
Pierre-Jean DESSERTINE